Des chercheurs s'invitent dans le débat.
Des universitaires et chercheurs de Montpellier, géologues et hydrogéologues, se sont invités, trop discrètement, dans le débat public sur les gaz de schiste. Faisons donc leur un peu de publicité...
Plusieurs scientifiques de l'OREME - Observatoire de recherche méditerranéen de l'environnement - ont mis à la disposition des citoyens un texte proposant leur expertise dans cette controverse.
Une initiative bienvenue et qui correspond tout à fait à l'ambition de cette structure regroupant plusieurs laboratoires de Montpellier (Cnrs, IRD, Université de Montpellier-2) : «Un observatoire du risque et du changement global et anthropique les pieds dans la Méditerranée». Voir sur son site web une présentation de l'OREME, dirigé par Nicolas ARNAUD, directeur de recherche au CNRS..
Alors que la contestation populaire de cette perspective s'appuie surtout sur des craintes très générales, les chercheurs et universitaires en géosciences de Montpellier peuvent apporter une expertise reconnue, une habitude à travailler avec les industriels des mines et des hydrocarbures... mais en toute indépendance (en principe) puisqu'ils sont payés par les deniers publics et diposent d'un statut les protégeant des pressions de l'extérieur. Leur avis est donc précieux, et la contestation devrait intervenir auprès du gouvernement pour qu'ils soient eux aussi consultés et que les industriels soient contraints de leur fournir les informations qu'ils souhaiteront sur les méthodes d'exploration comme d'exploitation prévues. Et qu'on ne nous fasse pas le coup du secret industriel, d'une part il s'agit de risques environnementaux et d'autre part ces scientifiques ont tout à fait l'habitude de respecter leurs engagements de confidentialité si nécessaire.
Leur texte est précis, mesuré... scientifique. Il ne crie donc pas, mais note les problèmes potentiels que pose l'exploitation du gaz de schiste avec les seules méthodes connues dans une région où la géologie rend les réservoirs d'eau souterrain, très utilisés pour l'eau potable, particulièrement sensibles aux pollutions de surface et en profondeur (à cet égard, il n'aura pas échappé aux spécialistes que la géologie du Bassin parisien est très différente).
Voici deux extraits du texte que vous pouvez télécharger ici pour une lecture plus approfondie (et le voici en pdf):
«QUELLE EST LA RESSOURCE EN EAU SENSIBLE DES ZONES DE PERMIS ?
Les zones de permis couvrent un ensemble géologique varié marqué par plusieurs niveaux aquifères qui renferment des nappes libres ou captives. L’évolution tectonique et géomorphologique du domaine couvert par ces zones explique les relations complexes entre ces aquifères et par conséquent leur fonctionnement hydrodynamique. Les aquifères de type karstique, à l’affleurement ou sous couverture, sont les plus représentés : Basse Ardèche, Garrigues de Nimes, d’Uzès, de Montpellier, causses du Larzac...
Ces aquifères localisés essentiellement dans les formations secondaires (Jurassique et Crétacé) ont connu une karstification importante liée à une fracturation intense des séries lors de l’orogenèse pyrénéo-alpine et aux mouvements oligocènes, ainsi qu’à l’abaissement du niveau de la Méditerranée au Messinien qui a permis le développement de karsts profonds. Cette histoire géologique est à l’origine de caractéristiques hydrodynamiques qui en font des réservoirs d’eau souterraine à forte potentialité. Les sources karstiques, comme celle du Lez ou du Durzon qui font partie des plus puissantes de France, sont l’expression hydrologique visible de ce potentiel.
Ainsi, ils constituent la première ressource en eau régionale pour l’Alimentation en Eau Potable (AEP). Cette ressource est déjà largement exploitée pour l’alimentation de 50% de la population du territoire concerné (dont Montpellier, Nîmes, Millau..) et représente un potentiel de premier ordre pour les prochaines décennies comme l’indiquent les études prospectives de l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse.
Le mode de recharge de ces aquifères et leur structure interne favorisent les déplacements de polluants éventuels et la quasi-absence d’auto-épuration : recharge souvent concentrée, sols peu épais, vitesses de déplacements dans les drains karstiques élevées... Ainsi, leur vulnérabilité aux pollutions est reconnue comme élevée et très spécifique.
Une autre caractéristique hydrogéologique régionale tient à la présence de failles profondes (souvent normales) liées à l’ouverture du Golfe du Lion qui permettent la remontée de fluides profonds (eau chaude, CO2...). Les exemples sont nombreux comme la source Perrier, ou encore le forage de l’université Montpellier 2. La présence d’éléments chimiques particuliers (traces) dans les eaux de certaines sources ou forages témoignent de connexions hydrauliques entre des couches profondes et les aquifères superficiels (Trias par exemple). La plupart des sources importantes sont les exutoires d’aquifères karstiques positionnés sur ces grandes failles.
QUELS SONT LES RISQUES ENVIRONNEMENTAUX ET SUR LA SANTÉ ASSOCIÉS À L’EXPLOITATION DE CES RESSOURCES?
L’exploitation des gaz de schistes nécessite la mobilisation de volumes d’eau très importants pour alimenter le procédé de fracturation hydraulique. Cette mobilisation concerne directement les aquifères prélevés, les formations schisteuses exploitées ainsi que les aquifères dans lesquels l’eau récupérée est injectée (cf paragraphe Techniques d’exploitation). Même si ces aquifères sont profonds et ne présentent pas aujourd’hui un intérêt particulier en termes de ressource pour l’AEP, non seulement ils seront affectés, et sous l’effet de la pression d’injection ils risquent d’être mis en relation avec les aquifères d’eau potable plus superficiels, par les failles en particulier. Il existe néanmoins d’autres solutions d’approvisionnement d’eau, comme le pompage d’eau des fleuves, ou des canaux de dérivation, comme par exemple dans le cas de l’exploitation des saumures par forage dans les salines de Vauvert. De façon générale la compilation des études d’impact concernant les exploitations d’hydrocarbures, et notamment les méthodes faisant appel à la fracturation, font état de quatre grands types de risques qui ont conduit à des dégâts environnementaux importants dans les pays ou ces exploitations ont été développées, principalement aux USA et au Canada :
• La contamination des eaux. La présence d’un grand nombre de failles et de fractures géologiques soumises à de fortes pressions de fluides liées à la méthode de fracturation hydraulique peut rendre l’exploitation dangereuse. Sous l’effet des migrations de fluides générées lors de l’exploitation, les fractures géologiques ou induites peuvent constituer des drains permettant à l’hydrocarbure de s’échapper vers les acquifères supérieurs ou des couches poreuses, ou d’arriver en surface. D’autres types de fuites sont possibles par déficience de la protection du forage (tubage et manchon de ciment : le « casing »). Si le défaut de protection est situé dans la partie superficielle du forage, il peut y avoir pollution d’un aquifère exploité.
Les fluides utilisés pour l’hydrofracturation des roches contiennent de nombreux adjuvants chimiques dont des composés cancérigènes ou toxiques comme les fluorocarbones, le naphtalène, les formaldéhydes... dont le détail est encore mal connu car la composition de ces fluides est tenue secrète. Enfin au contact des roches, les fluides de forage et/ou d’hydrofracturation se chargent également d’éléments potentiellement toxiques emprisonnés par les roches argileuses lors de leur formation. Des composés généralement associés aux roches argileuses comme l’arsenic sont susceptibles d’être remontés en surface et de contaminer la ressource en eau.
En surface les eaux contaminées remontant du forage (plusieurs milliers de tonnes) doivent être stockées dans des bassins de surface en attente de leur traitement. Le conditionnement de ces réservoirs est critique pour éviter des pollutions majeures. La fuite des bassins de rétention (lors de pluies catastrophiques par exemple), polluerait immanquablement les rivières, les fleuves et la ressource en eau potable. Ce risque est particulièrement important dans les régions Méditerranéennes (épisodes Cévenols). Il est également critique en région karstique pour lesquelles l’infiltration des polluants serait quasi immédiate.
• L’usage excessif de la ressource en eau : tous les forages ont besoin d‘eau mais les techniques de fracturation provoquée (« fracking ») nécessitent beaucoup d’eau devant être injectée sous pression dans le forage. Le « fracking » pour la mise en production demande de 10 000 à 20 000 m3 d’eau par forage (4 à 8 piscines olympiques par forage).
• L’utilisation du terrain et la dégradation liée à l’emprise au sol du périmètre de forage (derrick, matériels annexe, etc) qui doit également inclure la modification de l’environnement liée à toute activité industrielle se développant sur une zone fragile, par exemple le va et vient des camions d’approvisionnement. L’érosion des sols sera nécessairement augmentée par la création de nombreuses pistes. Il faudra être tout particulièrement vigilent sur l’impact des installations industrielles sur les écosystèmes sensibles et déjà fragilisés par les changements climatiques et la pression anthropique, comme les écosystèmes Méditerranéens.
• Enfin, l’exploitation peut générer une pollution de l’air : rejet de méthane, de di-oxyde de carbone, de gaz d’échappements en liaison avec l’augmentation du trafic routier.»
Les passages en gras on été soulignés par Sylvestre Huet
Leur dossier complet au format pdf ici . A lire avec un lecteur pdf libre tel que Sumatra. Adobe Reader n'est pas sous licence libre, à éviter.