21/04/2011: Le rapport remis à NKM ? Un plaidoyer pour le gaz de schiste
Le rapport provisoire sur les gaz de schiste vient d'être rendu public. Préconisant de ne pas enterrer cette technologie, il risque de ne pas calmer la contestation.
Le ton est technocratique et prudent mais le fond ne fait pas de doute : s'il est hors de question de suivre la méthode américaine, la fracturation hydraulique est trop prometteuse pour être abandonnée.
Les très officiels Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies (Cgiet) et Conseil général de l'environnement et du développement durable (Cgedd) recommandent aux ministres Nathalie Kosciusko-Morizet et Eric Besson « un encadrement strict » de cette technologie mais la poursuite de « l'exploration ». Car « faire émerger des opérateurs nationaux » capables de prendre place sur le marché mondial est une priorité. En d'autres termes : ne pas manquer le train de la modernité, sans tomber dans les excès des Etats-Unis.
Problème : comme le dit le communiqué de presse des deux ministres, le gouvernement soutient la proposition de loi visant à l'abandon de cette technologie. Déposée par l'UMP Christian Jacob, elle sera examinée le 10 mai. Soit avant le rapport final, remis pour le 31 mai…
Voici les points qu'il faudra retenir de cette mission d'inspection ; les conclusions de ce rapport provisoire pouvant être définitives.
Ne plus dire « gaz de schiste » mais « gaz et huiles de roche-mère »
Comme pour les éléments de langage chez les politiques, la terminologie employée par les experts n'est pas anodine.
C'est vrai que la traduction de l'anglais « shale gas » (un « shale » est schiste argileux) n'est pas parfaitement exacte, notamment parce qu'une confusion est possible avec la technique des schistes bitumineux, utilisée au Canada, et qui est différente (ils sont exploités en carrière et soumis à un traitement thermique).
Mais la mission se fait tatillonne lorsqu'elle rejette l'appellation « hydrocarbures non-conventionnels », au nom du fait que :
« Ce qui est “non-conventionnel” n'est pas la nature de l'hydrocarbure, mais la roche dans laquelle on les trouve et les conditions dans lesquelles ils sont retenus dans cette roche. »
Si l'on suit ces experts, il faut désormais parler d'« hydrocarbures de roche-mère ». Une expression un peu prude, qui vise à masquer la technique qui pose problème : la fracturation hydraulique. Car le rapport ne cache pas qu'il s'agit bien de « fracturer une roche non-poreuse pour extraire les huiles ou le gaz qui s'y trouvent ».
La France, pays d'Europe le plus riche en gaz de schiste
Citant l'agence internationale de l'énergie (AIE), la mission annonce d'entrée de jeu que :
« Les ressources mondiales récupérables de gaz non-conventionnel seraient du même ordre de grandeur que les ressources récupérables conventionnelles. »
Malgré le conditionnel, l'espoir est clair. Surtout pour la France, « pays d'Europe le plus richement doté de ressources en gaz de roche-mère ». Les ressources sont évaluées à 90 ans de notre consommation actuelle, fait miroiter le rapport. De quoi passer le fameux « Peak Oil » tranquillement.
D'ailleurs, nous rappelle-t-on, aux Etats-Unis, qui ont connu une croissance exponentielle de cette exploitation, les prix du gaz sont deux fois moins élevés qu'en Europe.
Sur le plan politique, le contexte est favorable, puisque :
- la Pologne, qui prendra la présidence de l'Union européenne au 1er juillet, a fait de la « sécurité énergétique » (comprendre indépendance) l'une de ses priorités, et ne regarde pas cette technologie avec autant de réticence que la France ;
- pour « décarboner » l'économie, c'est-à-dire baisser les émissions de gaz à effet de serre, « le gaz aura un rôle important à jouer », note le rapport, sous-entendant que ces techniques non-conventionnelles seront mises à contribution.
« Les risques pour l'homme ou l'environnement peuvent être relativisés »
Les auteurs de ce rapport savent pertinemment qu'ils ont tous les écologistes de France contre eux. Ecologistes qui ont même réussi à convaincre le gouvernement. C'est dire s'il faut rassurer. Leurs réponses aux nombreuses réticences sont parfaitement logiques :
- Prudence plutôt que précaution : « Au plan technique, les techniques de forage de drains horizontaux et de fracturation hydraulique ne sont ni nouvelles ni exceptionnelles. Elles sont utilisées depuis longtemps dans l'exploitation des accumulations conventionnelles, y compris en France. La nouveauté vient de l'ampleur avec laquelle ces techniques sont utilisées pour l'exploitation des hydrocarbures de roche-mère. […] On se trouve alors, compte tenu des quantités de produits utilisés (eau, sable, substances chimiques), confronté à des impacts potentiels sur l'environnement tout à fait différents de ceux des forages conventionnels. »
« Appliquer le principe de précaution ne peut consister à refuser toute exploration, mais signifie
s'entourer de toutes les technologies existantes et matures pour diminuer au maximum tous les
risques imaginables avant de décider. »
- Essayons pour voir : « Si l'on veut conclure sur l'exploitabilité et la rentabilité économique d'un gisement, il est indispensable de réaliser en outre quelques essais de fracturation hydraulique, en forage vertical le plus souvent, assortis de prises de données complètes (notamment pression-débit des fluides et micro-sismicité). »
- Ne pas faire comme aux Etats-Unis : le rapport reconnaît l'émotion qu'à suscité le « recours à des substances chimiques innombrables et potentiellement dangereuses », mais, écrit : « Les risques pour l'homme ou l'environnement qui s'attachent à l'usage de ces produits peuvent être relativisés : ces produits sont destinés à être introduits dans un milieu situé à 2 000 m de la surface et déjà fortement imprégné d'hydrocarbures. C'est seulement en cas d'incident qu'il peuvent entrer en contact avec des milieux fragiles à protéger. »
Les experts en sont convaincus, il y a des solutions aux problèmes soulevés par les défenseurs de l'environnement : notamment, utiliser moins d'eau et ne retenir qu'une vingtaine de produits chimiques, au lieu des 500 utilisés dans la méthode américaine.
Permis Borloo : une « absence de transparence »
Ce n'est pas tout à fait un mea culpa mais ça s'en approche. Le rapport reconnaît l''« absence de transparence » dans la façon dont les populations concernées ont appris que Jean-Louis Borloo avait signé, en mars 2010, des permis d'exploration à des compagnies privées.
La large et inédite contestation est présentée comme un malentendu :
« On peut considérer que l'on est en présence aujourd'hui d'une certaine incompréhension entre deux catégories d'acteurs :
les industriels ont opéré depuis des décennies et vivent le “ non-conventionnel ” dans la continuité de leur longue expérience et les règles environnementales comme des contraintes nouvelles ;
le “ grand public ” est d'une certaine manière frappé par la soudaineté avec laquelle les hydrocarbures de roche-mère sont apparus sur le devant de la scène. »
On notera que les industriels sont présentés comme ceux qui ont le savoir-faire et le public, comme mal informé. Pour achever le tableau, le documentaire « Gasland », qui a convaincu citoyens et politiques des dangers de cette technologie, preuves à l'appui, est présenté comme une opération de « communication parfois spectaculaire ».
Les opposants aux gaz de schiste apprécieront.
Photo : Nathalie Kosciusko-Morizet à l'université d'été de l'UMP à Royan en septembre 2008 (Audrey Cerdan/Rue89).