27/04/2011: Pourquoi il ne faut pas clore le débat sur le gaz de schiste


Tout va trop vite dans ce dossier: l’attribution des permis d’exploration sans transparence véritable, puis leur abrogation comme si le gouvernement découvrait le sujet. Si la ressource existe, on en reparlera.
- Puits d'exploration de gaz de schiste en Pologne, en 2010. REUTERS/Kacper Pempe -

 

Qu’est-ce qui se cache dans le gaz de schiste? On a entendu Jean-Louis Borloo reconnaître avoir commis une erreur en délivrant, par arrêté datés du 1er mars 2010, trois permis d’exploration. Et sans qu’une «publicité régulière» n’ait été faite, estime Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement. Pourtant, l’Ardèche, la Drôme, le Vaucluse, le Gard, l’Hérault, l’Aveyron et la Lozère sont concernés: difficile pour les sociétés retenues de forer dans l’ombre. Les élus de ces départements dénoncent le manque de transparence. Dans cette opacité, une seule certitude: aux Etats-Unis où 500.000 puits d’exploitation ont été forés dans 31 Etats, les méthodes d’extraction du gaz de schistes ont été dévastatrices pour l’environnement.

Le repoussoir américain

Suite à la levée de boucliers des populations concernées, les éléments fleurissent qui démontrent, pour le moins, de grosses négligences dans la gestion du dossier par l’ancien ministre de l’Ecologie et de l’Energie. Au point que, après avoir assuré qu’un moratoire était impossible, Nathalie Kosciusko-Morizet en charge aujourd’hui de ce ministère, a ensuite gelé tout début d’exploration tant dans l’attente des conclusions d’un rapport d’experts, dont une version provisoire [PDF] a été remise le 21 avril.

Mais d’ores et déjà, pour calmer une opinion publique remontée, le Premier ministre François Fillon s’est prononcé pour l’interdiction de l’exploitation du gaz de schiste et l’abrogation des permis déjà accordés (par un ministre, pourtant, de son ancienne équipe). Le groupe UMP de l’Assemblée nationale, qui n’avait rien dit jusque-là, a soudain déposé une proposition de loi en ce sens au nom du principe de précaution. La loi, qui sera débattue le 10 mai, sera sans aucun doute adoptée, le PS se trouvant cette fois sur la même ligne.

Une technologie non mature, une politique immature

On s’explique bien pourquoi, à un an de l’élection présidentielle, le chef du gouvernement et le parti majoritaire s’empressent d’éteindre les braises. Mais tout se passe sur ce dossier comme si tout le monde voulait aller toujours trop vite. Trop vite dans l’opacité pour l’attribution des autorisations, trop vite dans la gesticulation pour les retirer. Ce qui illustre l’absence d’une véritable politique énergétique en France avec une vision à long terme, et traduit un exercice de la politique insuffisamment apaisé pour être raisonné. Or le dossier de l’énergie, stratégique surtout à un moment où la place du nucléaire est contestée en France, mérite plus que des décisions au doigt mouillé.

Même s’ils ménagent Jean-Louis Borloo, les auteurs du rapport commandé par Nathalie Kosciusko-Morizet (deux ingénieurs des Mines et deux autres des Ponts) pointent le manque de précaution dans le processus de décision:

«Les grands organismes techniques français, la plupart des entreprises et les analyses les plus sérieuses réalisées à l'étranger reconnaissent qu'il reste encore des marges de progrès à réaliser et des approches innovantes à susciter, aussi bien en termes d’optimisation des forages pour accéder au maximum des ressources que pour rendre ces forages compatibles avec la protection de l’environnement.» 

La technologie n’est pas au point. Le ministère de l’Ecologie en convient lorsqu’il juge hors de question de permettre en France une exploitation conduisant à des dégâts environnementaux comparables à ceux commis aux Etats-Unis. Des questions se posent concernant la fracturation hydraulique par forage horizontal pratiquée à grande échelle. De grandes quantités d’eau doivent être utilisées (15.000 m3 par puits) dans des régions qui souffrent parfois de la sécheresse, et des produits chimiques doivent être utilisés, faisant courir des risques de pollution pour les nappes phréatiques. «Les élus et associations ont exprimé de fortes préoccupations en matière de prélèvement sur la ressource en eau et de risques de pollution», confirment les experts qui, malgré tout, préconisent de poursuivre les recherches sur cette technologie.

Des territoires bafoués

On peut s’étonner aussi qu’on n’ait pas pris le soin d’associer le pôle de compétitivité Avenia, sur le site de Lacq, à se pencher sur l’impact de ces technologies alors qu’il dispose d’une compétence reconnue dans l’étude du sous-sol. D’autres intérêts locaux sont en jeu. La compatibilité d'une exploitation d'hydrocarbures non conventionnels apparaît problématique dans certains territoires dont l’économie repose sur l’image de marque, l’agriculture et l’activité touristique. 

On ne comprend pas, d’ailleurs, comment un permis a pu être accordé alors qu’une partie du territoire Parc national des Cévennes est incluse dans l’autorisation. Ainsi la contestation est-elle légitimée, d’autant que les experts insistent sur le manque de transparence des procédures d’attribution et le fait que «les élus locaux ont le sentiment d’être placés devant le fait accompli».

Et pourtant, on en reparlera

Tout semble plaider contre l’exploitation du gaz de schiste. Mais il serait tout aussi irresponsable d’enterrer le dossier, car il reviendra dans l’actualité, dans quelques années. Alors que la part du nucléaire fait débat même en France, alors que le prix du pétrole est sur une tendance durablement ascendante, alors que toutes les énergies fossiles sont vouées à décliner, l’existence de cette ressource reviendra dans les débats. Car elle n’est pas marginale, loin s’en faut.

Pour ce gaz de schiste dont l’exploitation a été rendue compétitive à cause de la hausse du prix des hydrocarbures, les ressources seraient supérieures à celles du gaz conventionnel, estime l’Agence internationale de l’énergie. Peut-être le double, ou plus, selon certains experts. C’est considérable, si l’on se souvient que les réserves de gaz conventionnel correspondent à plus d’un siècle de consommation. Ce gaz de schiste représente déjà plus de 17% de la consommation énergétique totale aux Etats-Unis où la production a décollé en 2007, et y progresse à raison de 15% chaque année, indique le Centre d’analyse stratégique (CAS) rattaché à Matignon. Le Canada, la Chine, l’Inde s’y intéressent. Quant à la France, elle serait le pays le mieux pourvu d’Europe et son sous-sol recèlerait à lui seul près de 3%  du total mondial.

Eclairer le débat

Dans ces conditions, on reparlera du gaz de schiste en France. Parce que si la ressource existe, on s’en souviendra lorsqu’il faudra faire des choix énergétiques et honorer les factures de produits importés. Il ne s’agit pas d’effectuer des arbitrages contre des énergies renouvelables provenant de l’éolien, du solaire ou de l’hydraulique. Mais au cas où le nucléaire verrait sa part réduite ou son extinction programmée, des substituts devraient être trouvés même au cas où la croissance serait plus économe en énergie. Or, dans le bouquet énergétique de demain, le gaz en général occupe une place de choix, même pour les défenseurs de l’environnement, car il émet en brûlant 25% de moins de CO2 que le pétrole et 40% de moins que le charbon.

Les disponibilités en gaz de schiste reviendront alors à coup sûr dans les hypothèses à prendre en considération. Mieux vaudrait alors que les responsables politiques apportent de bonnes réponses, en respectant les revendications environnementales et en introduisant toute la transparence nécessaire dans le débat. Il faudrait, dans ce cas, ne pas craindre d’enrichir le dossier, à charge comme à décharge, pour mieux éclairer le débat. Plutôt que de pratiquer la politique de l’autruche en campagne électorale.

Gilles Bridier

 


La source ici  

 

 



27/04/2011

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