20/04/2011: À la recherche de l'or noir ardennais
ARDENNES. La société Thermopyles détient le fameux Permis des Ardennes : un permis exclusif de recherches d'hydrocarbures qui s'étend sur 120 communes. Alors que le gouvernement envisage d'interdire l'exploitation du gaz et d'huile de schiste, le patron de la société dit ne chercher que du pétrole « conventionnel ».
LA mobilisation a eu raison du gouvernement. Mercredi à l'Assemblée Nationale, François Fillon a reconnu un manque de concertation autour de l'exploitation de gaz et d'huile de schiste, en particulier son extraction très brutale pour l'environnement. Dans un discours non dénué de lapsus (il a évoqué de malodorants « gaz de shit »), le Premier ministre a donc envisagé d'« annuler les autorisations déjà données »*.
Une petite phrase qui concerne les Ardennes et un certain Philippe Labat. Ce Breton de 57 ans, polytechnicien « dans le pétrole depuis 34 ans » (il a travaillé dix ans chez Elf), dirige trois sociétés spécialisées dans la recherche pétrolière. La première gère un puits dans le Bas-Rhin (« sans qu'il n'y ait jamais eu de plainte »), la seconde cherche du pétrole à Chonville (Meuse), la troisième, Thermopyles, possède depuis fin 2008 le Permis des Ardennes. Un an plus tard, elle en est même devenue le seul titulaire, la société associée s'étant retirée.
Ce permis est tout sauf anodin. Il couvre un secteur de 1.176 km2 fermé au nord par la Meuse (entre Charleville et Sedan), au sud par la vallée de l'Aisne (dans sa partie argonnaise) et la région de Machault.
En tout, 120 communes… et autant de maires inquiets depuis la révélation de cette affaire dans nos colonnes (nos éditions du 8 avril). Le maire de Vouziers l'a évoquée en conseil municipal et les conseillers généraux ont appelé à la « prudence » lors de la dernière commission permanente.
« On ne va pas prévenir tous les maires ! »
Inquiet à son tour face au tollé, Philippe Labat souhaite aujourd'hui rassurer les élus. Tout en assumant… de ne pas les mettre au courant. « Il y a 120 communes sur le permis, mais il n'y en a peut-être que trois ou quatre qui seront concernées au final. On ne va pas prévenir tous les maires ! » C'est un point de vue.
« Par exemple, cela ne sert à rien d'alerter le maire de Vouziers, puisque ce n'est pas du tout notre zone de recherche. » Sauf que les maires ignorant l'existence du Permis des Ardennes, ils peuvent difficilement savoir s'ils sont concernés ou pas…
Ne pas jeter de l'huile sur le feu
L'ingénieur ne veut toutefois pas jeter de l'huile sur le feu. Son mot d'ordre : « rassurer ». « On cherche du pétrole conventionnel, comme il y en a dans l'Aube ou la Marne. Il ne s'agit pas de gaz ou d'huile de schiste, pour la simple raison qu'il n'y en a pas dans les Ardennes », assène-t-il**.
Philippe Labat cherche du pétrole conventionnel pour deux raisons. Primo parce que le pétrole « non conventionnel » (huile ou gaz de schiste) se situe à au moins 2.300 mètres de profondeur et coûte une fortune à extraire. Secundo parce… qu'il y en a.
« Deux forages faits à Grandpré dans les années 50 et 60 ont montré un gros potentiel. Mais on n'a réussi à remonter que de l'eau salée. Mon objectif est de découvrir l'endroit rentable où le pétrole a pu s'accumuler. » Pour faire simple, la nappe de pétrole a voyagé dans le sous-sol et se situerait aujourd'hui plus au nord, à une profondeur située entre 300 et 1.000 mètres, dans les grès du « Rhétien » (un niveau géologique).
Pour la trouver, la société Thermopyles a mené quelques campagnes de mesures géologiques sur le terrain. Mais le gros du travail est effectué à Paris, à partir de cartes, d'images satellite et de données sismiques. Après avoir étudié une zone de 250 km2 entre Grandpré et Buzancy, les chercheurs d'or noir progressent vers le cœur des Ardennes.
Revenant sur l'annulation des permis de recherche, Philippe Labat se dit serein. « Cela ne me concerne pas vraiment, puisque je ne cherche que du conventionnel. » Il pense en revanche qu'elle sera complexe à mettre en place, car le Code minier ne fait pas le distinguo entre hydrocarbures conventionnels et non conventionnels. « Le gouvernement va devoir faire le tri dans les permis, ça ne va pas être facile… »
Guillaume LÉVY
* Les opposants maintiennent la pression jusqu'à l'examen d'une proposition de loi le 10 mai.
** Le mieux serait d'en informer la Dreal (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement), chargée du suivi de ce dossier mais qui, il y a dix jours, ne semblait pas au courant.