12/04/2011: Le gaz de schiste, ennemi public numéro un


Malgré la hausse du prix du gaz, la France n'est pas prête à jouer la carte du schiste.

 

Le gaz de schiste, ennemi public numéro un

 

Forage de gaz de schiste au Texas par la compagnie Barnett Shale, la plus importante de l'État. © Jared

Par Frédéric Lewino

En novembre 2010, le vent de la colère s'est de nouveau levé sur la terre du Larzac. José Bové, qui commençait peut-être à s'ankyloser au Parlement de Strasbourg, s'est trouvé une nouvelle croisade : combattre le gaz de schiste. La fronde a pris comme un feu de prairie dans tout le pays. Déjà, des dizaines de manifestations ont réuni des dizaines de milliers de personnes. En Provence, dans les Cévennes, dans le Quercy, dans le Jura, c'est partout la même jacquerie. Partout, des collectifs antigaz de schiste éclosent ­spontanément.

Sentant le vent tourner, les partis politiques mettent de l'eau dans leur gaz de schiste. Tous ! Les Verts, naturellement, mais aussi le PS, le Front de gauche, le PC, l'UMP et même le Front national. Touchante unanimité. Les ministres de l'Écologie et de l'Industrie ont vite compris le message et ont donc gelé les délivrances de permis d'exploration en attendant la remise d'un rapport réclamé dans l'urgence.

Le paradoxe, c'est qu'au même moment le gouvernement veut geler le tarif du gaz, qui s'est envolé de 20 % en un an (en comptant la dernière hausse de 5,2 %). Cette augmentation, qui résulte de l'application des contrats à long terme avec la Norvège, l'Algérie et la Russie, pourrait effectivement être contrecarrée par... les gaz de schiste. Aux États-Unis, leur développement fulgurant a fait chuter le prix du gaz. Mais, en France, la résistance est d'un autre ordre...

Le gaz de schiste n'est d'ailleurs pas le seul à être dans le collimateur des Français. Il y a aussi l'huile de schiste. On découvre, aujourd'hui, qu'une grande partie du pays est prospectée par les chasseurs d'or noir, qu'il soit liquide ou gazeux. Au 1er janvier 2011, toutes énergies fossiles confondues, l'État français a délivré 62 permis d'exploration (62 942 km2) et instruit 83 demandes de permis (121 134 km2). Un tiers du territoire français au total !

Vous avez dit gaz de schiste ?

Il s'agit du méthane piégé intimement dans la roche sédimentaire qui l'a fabriqué. Ces couches gisent généralement au-dessous de 2 000 mètres de profondeur. L'exploitation de ce gaz n'est devenue économiquement possible que depuis la mise au point de la technique de fracturation : de l'eau injectée sous pression dans la roche afin de créer des fissures par où le gaz peut s'échapper. Une fois parvenu, par un puits vertical, jusqu'à la couche à exploiter, on fore à l'horizontale sur plusieurs kilomètres (jusqu'à trois). Selon Total, dix à quinze puits peuvent être installés sur une même plate-forme de forage, afin de rayonner dans toutes les directions.

Une étude évoque la présence de 2 380 milliards de mètres cubes de gaz, de quoi alimenter la France jusqu'en 2060. Mais chacun s'accorde à dire qu'il ne s'agit que d'une estimation grossière, obtenue en multipliant la teneur en gaz théorique d'une couche de schiste par sa surface. Le potentiel exploitable est sans doute dix fois inférieur.

L'exploration et la spéculation

Aux côtés de poids lourds comme Total et, plus en retrait, GDF Suez, on trouve beaucoup de pétroliers indépendants, tels l'australien Queensland Gas Company, le canadien Realm, les américains Devon et Eagle. Mais d'autres détenteurs ou demandeurs de permis ne sont que des fonds d'investissement qui suivent là un filon de spéculation et cherchent à monnayer au plus offrant les permis qu'ils décrochent. C'est le cas, par exemple, de la société 3 Legs Oil & Gas (île de Man), qui possède le permis d'exploration de Valence et sollicite celui de Cahors, ou encore de la firme américano-suisse (Texas) Schuepbach Energy, qui détient le permis de Villeneuve-de-Berg et en brigue trois autres.

Chaud devant

La France s'étant engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, les écologistes préféreraient que les investissements consacrés à la recherche de gaz de schiste aillent plutôt aux énergies renouvelables. Réponse de Bruno Courmes, le "monsieur schiste" chez Total : "Total compte investir quatre à cinq milliards d'euros dans les énergies nouvelles d'ici à 2020. Infiniment plus que dans le schiste ! Et puis ce gaz, moins émetteur de CO2 que le charbon, peut servir d'énergie relais en attendant la montée en puissance du solaire." Sauf que le charbon est peu utilisé en France.

Que d'eau, que d'eau !

Les opposants reprochent au forage de consommer entre 10 000 et 20 000 mètres cubes d'eau. Compte tenu du recyclage possible d'une partie de cette eau (entre 20 et 80 %), il faut prévoir 200 000 mètres cubes pour forer les douze puits d'une plate-forme. Le chiffre paraît impressionnant, mais après tout, ce n'est que le volume nécessaire pour irriguer un champ de maïs de 80 hectares en année sèche.

Des nappes phréatiques menacées

L'eau injectée pour fracturer la roche contient de nombreux additifs pour maintenir l'ouverture des failles (sable très fin), tuer les bactéries se nourrissant de gaz, réduire les frictions, gélifier l'eau, inhiber la corrosion... Selon le Centre Tyndall (université de Manchester), certains de ces additifs seraient toxiques et cancérogènes. Lors du forage des douze puits d'une plate-forme, c'est entre 2 000 et 7 000 tonnes d'additifs qui sont ainsi injectées dans le sous-sol. Les opposants au gaz de schiste voient déjà ces ­additifs migrer jusqu'aux nappes phréatiques par les fissures de fracturation. Didier Bonijoly, chef du bureau de géologie du Bureau des recherches géologiques et minières, conteste cette vision simpliste : "En général, les couches de schiste visées par les explorations en France sont bien trop profondes pour que les fissures puissent atteindre les nappes phréatiques proches de la surface." Il n'empêche que, "dans nos régions géologiquement agitées, les couches de schistes sont plissées et fracturées, si bien qu'on peut imaginer une migration verticale des additifs par les failles de schiste", explique Bernard Collot, un géologue ancien d'Exxon.

Les États-Unis ont tout faux

Après avoir vu le film Gasland, diffusé le 4 avril sur Canal+, quel fou voudrait encore exploiter en France du gaz de schiste comme on le fait aux États-Unis ? Après un an de périple dans l'Amérique des champs gaziers, le réalisateur Josh Fox a rapporté des images épouvantables. Apocalypse now ! Beaucoup des malheureux qui ont accepté des forages sur leur terrain en échange d'un petit pactole s'en mordent aujourd'hui les doigts. Ils se retrouvent avec des nappes phréatiques contaminées, de l'eau pétillant de méthane au sortir des robinets, une noria infernale de camions, une atmosphère polluée... Les riverains des puits subissent malaises, éruptions de boutons et troubles multiples...

Voilà pourtant deux ans seulement, l'Amérique avait cru trouver avec cette énergie nationale la panacée contre le pétrole cher et la dépendance étrangère. Depuis lors, des milliers de puits ont été forés à la va-vite. Comme au temps de la ruée vers l'or, sans grandes précautions écologiques. Un seul exemple : en Pennsylvanie, un rapport publié l'été dernier dresse une liste de 1 435 violations du droit environnemental. C'est partout comme cela. Il faut dire que l'industrie gazière possédait un solide appui à Washington en la personne de Dick Cheney, vice-président de Bush entre 2001 et 2009 et P-DG de Halliburton, l'une des principales firmes en cause.

Le modèle américain serait-il exportable en France ? Avec Gasland, c'est râpé. Nathalie Kosciusko-Morizet l'a promis : "On n'exploitera jamais le gaz de schiste comme aux États-Unis." Peut-on la croire ?

La colonisation rampante du paysage

Si l'on se réfère à l'exemple américain, un champ gazier de 50 kilomètres de côté, pour être correctement exploité, nécessiterait autour de 2 000 plates-formes occupant 2 hectares lors du forage, qui peut prendre entre 500 et 1 500 jours. Il faut s'attendre à un important va-et-vient de camions pour acheminer le matériel de forage (tubes, eau, additifs, béton, machines...) et emporter les déblais de forage (environ 830 mètres cubes pour un puits de 3,2 kilomètres de longueur). L'État de New York a estimé entre 4 300 et 6 600 le nombre de rotations par plate-forme. Petite précision qui a son importance : au bout d'un an, la production d'un puits peut chuter au point de nécessiter une nouvelle campagne de fracturation, avec une nouvelle vague de camions.

Dans quelques semaines, les experts rendront leur rapport sur le gaz de schiste. Mais quelle importance ? À un an de la présidentielle, aucun candidat ne prendra le risque de jouer le gaz de schiste. Aucun candidat, fût-il Sarkozy...

 

 

La source ici

 



12/04/2011

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