05/04/2011: Gaz de schiste : la volte-face de Jean-Louis Borloo

Gaz de schiste : la volte-face de Jean-Louis Borloo
L'ancien ministre de l'Ecologie Jean-Louis Borloo (ici lors d'un voyage présidentiel en Chine en avril 2010) a accordé des permis d'exploration des gaz de schiste au printemps dernier. Une décision dont on a eu la preuve hier qu'il la regrette amèrement

Étonnamment silencieux depuis de longues semaines, l’ancien ministre de l’Écologie a fini par sortir de son mutisme hier en annonçant avoir déposé un projet de loi à l’Assemblée nationale pour  « donner à l’État les moyens d’interdire la recherche et l’exploitation immédiate » des gaz et huiles de schiste. Une manière peut-être de préserver ses chances en vue des élections présidentielles, lui qui pourrait incessamment rendre sa carte de l’UMP et constituer de fait un autre caillou dans la chaussure du futur candidat de la majorité.

 

Longtemps pressenti pour succéder à François Fillon à Matignon, une ambition qu’il avait choisi d’assumer, Jean-Louis Borloo n’a in fine pas obtenu satisfaction et n’a pas souhaité donner suite aux propositions de ministères régaliens du chef de l’État. Le remaniement de la mi-novembre a donc en ce qui le concerne été synonyme de départ du gouvernement et d’une prise de distance spectaculaire à l’égard de l’action du Premier ministre reconduit. Tout en se disant heureux de recouvrer sa liberté de parole, l’ancien maire de Valenciennes (Nord), redevenu député, n’a jamais fait mystère de son amertume devant la fin de non-recevoir élyséenne. Il ne s’était en revanche jamais appesanti jusque là sur ce qui restera sans doute comme une grande erreur politique : l’octroi au printemps dernier, de surcroît sans consultation des élus et des populations, de permis d’exploration des gaz et huiles de schiste dans une zone d’environ dix mille kilomètres carrés dans la moitié sud de la France.

Une décision incompréhensible étant donné les gravissimes dommages écologiques provoqués par leur exploitation, dommages que vu sa position il serait fort étonnant – et très préoccupant – que M. Borloo n’en ait pas eu vent. Un aval qui a aussi été à l’origine, des mois plus tard, d’une polémique nationale qui ne devrait pas dégonfler de sitôt, entre mobilisation citoyenne, rébellion des présidents des régions concernées, fronde de parlementaires de toutes tendances politiques et divergences au sein même du parti présidentiel . Car on a eu l’occasion à maintes reprises ces dernières semaines de constater que tous les UMPistes n’approuvent pas, loin s’en faut, la position de compromis adoptée par les hautes sphères via la création début février d’une mission d’évaluation pilotée conjointement par les ministères de l’Écologie et de l’Énergie et qui devra rendre ses conclusions fin mai (NDLR : un rapport d’étape est également attendu pour le 15 avril prochain).

L’étau s’est encore resserré depuis autour du gouvernement avec la découverte de traces de radioactivité dans certaines eaux en Pennsylvanie et la détection d’une activité tellurique inhabituelle dans l’Arkansas, deux États américains où l’exploitation des gaz de schiste est désormais soutenue.

 

« Le droit ne donne pas toujours à l’État et au public les moyens de s’informer et de s’opposer efficacement à des projets susceptibles de s’avérer dangereux »

 

« Le droit ne donne pas toujours à l’État et au public les moyens de s’informer et de s’opposer efficacement à des projets susceptibles de s’avérer dangereux », a écrit M. Borloo dans un communiqué dans lequel il s’est en partie dédouané : « s’il existe des lois spécifiques pour l’eau et l’air, tel n’est pas le cas pour nos sols et nos sous-sols. C’est ainsi qu’en 2010, et d’ailleurs jusqu’à ce jour, l’État ne peut que difficilement s’opposer à des demandes de recherche, et in fine d’exploitation ». En d’autres termes, l’ancien locataire de l’Hôtel de Roquelaure n’aurait donc pas eu les moyens juridiques idoines pour s’opposer aux velléités schisteuses de Total et consorts.

À défaut de pouvoir gommer les conséquences de l’agrément passé et de dissiper le soupçon d’arrières-pensées politiciennes, ce texte achève de consacrer l’hostilité d’une partie du Palais Bourbon à l’exploration et a fortiori à l’exploitation des gaz de schiste. La protection des sols et des sous-sols est devenue une priorité aux yeux de nombreux parlementaires, ainsi qu’en avait déjà témoigné le lancement mi-février par Pierre Morel A L’Huissier et Pascal Terrasse, respectivement député UMP de Lozère et député socialiste de l’Ardèche, d’un « comité de surveillance et de précaution », véritable acte fondateur. Les démarches en direction d’un renforcement de la législation se multiplient, rendant le statu quo étatique difficilement tenable.

De nouvelles dispositions seront-elles introduites ? L’abrogation des permis d’exploration appelée de leurs voeux par les responsables d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) et par la ministre de l’Écologie Nathalie Kosciusko-Morizet, suscitera-t-elle au bout du compte l’adhésion des deux têtes de l’exécutif, jusque là guère prolixes sur ce dossier devenu une véritable « plaie verte » au fil des semaines ?

La réflexion de François Fillon semble en tout cas évoluer, comme l’a montré la prolongation le 11 mars dernier du moratoire sur la recherche et le forage des gaz et huiles de schiste dans l’attente du verdict des experts et l’officialisation, douze jours plus tard, de la volonté du gouvernement de déposer un projet de loi prévoyant que toute exploration du sous-sol soit désormais précédée d’une « consultation du public ».

« Ce moratoire par définition limité dans le temps n’apporte pas de solution pérenne », a estimé le président du groupe UMP à l’Assemblée Christian Jacob, par ailleurs ancien agriculteur, qui a lui aussi déposé vendredi une proposition de loi visant à interdire « l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels » sur le territoire national, « en application du principe de précaution prévu dans l’article 5 de la Charte de l’Environnement », à abroger les permis précités et à introduire une enquête publique avant l’autorisation de permis exclusifs de recherche. Le Parti socialiste avait fait de même un peu plus tôt dans la semaine et M. Borloo, qui incarne encore l’aile gauche de la majorité, vient donc de lui emboîter le pas.

Les lobbies de l’extraction peuvent donc commencer à s’inquiéter, d’autant que le scrutin présidentiel ne se présente pas sous les meilleurs auspices pour la majorité sortante. Autoriser l’exploration des gaz de schiste est devenu synonyme de suicide politique et l’Élysée et Matignon n’ont désormais plus qu’à en convenir. Dans l’intérêt de tous. Le leur y compris.

 

 

La source ici



05/04/2011

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