28/04/2011: Le rapport qui remet les gaz de schiste en selle
Les experts ont remis au gouvernement le rapport d’étape sur les gaz de schiste le 21 avril dernier. Missionnés par la ministre en charge de l’écologie, ils ont passé en revue les technologies existantes, le potentiel de développement des hydrocarbures de roche-mère et l’impact sociétal et environnemental de l’exploitation. Et ils concluent qu’il serait dommage de s’interdire d’explorer la ressource.
«Dans l’état actuel de nos connaissances, les ressources en gaz et huiles de roche-mère de notre pays restent largement inconnues faute d’avoir réalisé les travaux de recherche nécessaires à leur estimation… la comparaison avec les formations géologiques analogues exploitées en Amérique du Nord laisse à penser que notre pays est parmi les pays les plus prometteurs au niveau européen en huiles dans le Bassin parisien (100 millions de mètres cubes techniquement exploitables) et en gaz dans le sud (500 milliards de m3) ».
La ministre de l'écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, et celui de l'industrie et de l'énergie, Eric Besson, avaient demandé ce rapport début février après avoir suspendu tous les projets d'exploration de ces hydrocarbures non conventionnels, qui soulèvent une vaste opposition des écologistes.
Le rapport d’étape, intitulé «Les hydrocarbures de roche-mère en France», pose clairement la question: «Ces ressources sont-elles économiquement exploitables?». Les auteurs, deux ingénieurs des Mines et deux ingénieurs des Ponts, des eaux et des forêts considèrent qu’«en l’absence de tests de rendement réalisés dans le cadre de l’exploration, aucune réponse définitive ne peut être apportée à cette question».
Et ils vont plus loin. «Il serait dommageable, pour l'économie et pour l'emploi, que notre pays aille jusqu'à s'interdire (...) de disposer d'une évaluation approfondie de la richesse potentielle de ces gisements.» «Mais pour ce faire, il est indispensable de réaliser des travaux de recherche et des tests d'exploration», ajoutent-ils.
Les experts recommandent également que les travaux de recherche et expérimentations soient assortis d'un encadrement strict. Ils suggèrent ainsi la création d'un Comité scientifique national composé d'experts du BRGM, de l'Institut des énergies nouvelles (Ifpen) et de l’Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris).
Selon ce rapport initial, très technique, de 56 pages, «la couche la plus prometteuse pour l’exploitation des gaz de roche-mère est celle du Toarcien formée de marnes avec à leur base les schistes-carton». Et les réserves françaises techniquement récupérables sont estimées par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) à 5.000 milliards de mètres cubes, ce qui représente 90 ans de la consommation actuelle du pays.
Une liste «positive» de produits
Alors qu’aux Etats-Unis, les compagnies de forage utilisent un cocktail de produits chimiques pour les opérations de fracturation hydraulique -une liste de 2.500 produits a été publiée récemment (dans le JDLE)- les experts français, missionnés par la ministre, évoquent quant à eux «une liste positive» de produits. «Selon l’agence de l’environnement américaine (EPA, selon l’acronyme anglais), les opérateurs miniers et des experts du pôle Avénia, rencontrés par la mission, il est possible pour réaliser une opération de fracturation dans de bonnes conditions, de n’utiliser, outre l’eau et les agents de soutènement, qu’une douzaine de produits.»
A noter que le pôle de compétitivité Avénia a été plusieurs fois cité dans le rapport, comme étant un organisme de référence. Ce pôle, basé à Pau, est spécialisé dans les géosciences et les technologies du sous-sol. Son président, Jacques Jacobs, géophysicien de formation, n’est autre que le directeur de l’IFP Energies nouvelles.
Et les experts de compléter: «Si l’on a utilisé dans le passé aux Etats-Unis plus de 700 produits chimiques différents, plus ou moins nocifs pour l’environnement, et cela de manière non transparente, comme adjuvants pour les opérations de fracturation de roche-mère, la situation s’est aujourd’hui considérablement assainie».
En effet, la mission est convaincue qu'il est «possible d'imposer une liste positive de produits (une vingtaine et non 500) permettant de couvrir toutes les fonctionnalités attendues du mélange et bien adaptées au sous-sol français». Cette liste pourrait être établie par un Comité scientifique à créer. Selon eux, cette liste devra «s’imposer à toutes les opérations de forage de grande profondeur. En réduisant le nombre de molécules susceptibles d’être utilisées, elle limitera ‘l’effet cocktail’ et permettra de mieux appréhender les interactions entre produits et les réactions chimiques potentielles avec les composants de la roche-mère».
Mais les experts paraissent moins ambitieux quand ils mentionnent l’existence de nombreuses zones d’ombre. Ils évoquent des risques encore difficile à évaluer, comme par exemple la remontée de certains métaux des niveaux profonds et le niveau de radioactivité des formations du Permien. «Les schistes riches en matière organique sont connus pour contenir des sulfures qui ont la particularité de piéger de nombreux métaux (plomb, cuivre, zinc, cobalt, nickel, cadmium, mercure, uranium, etc.).»
Selon eux et d’après les experts de l'Ineris, «on peut donc craindre une mobilisation de certains éléments par le fluide de fracturation et leur transfert vers la surface via les remontées de ce fluide. Tout dépend de la concentration initiale dans la roche-mère, très mal connue aujourd'hui, de la quantité d'eau récupérée en surface et des additifs chimiques utilisés. Les quantités de métaux lourds ainsi remontées seraient évidemment faibles mais peuvent imposer des traitements spécifiques des eaux avant rejet. Concernant la radioactivité, si l'on sait qu'elle est négligeable dans le Lias, une étude particulière devra être réalisée pour le Permien du Sud-est».
Face à la complexité de la méthode d’extraction de cette ressource les experts s’inquiètent du manque d’expertise des personnes qui auront à contrôler les futures installations. «Le faible nombre d’experts de l’administration et leur éclatement géographique fait que la compétencecollective des administrationsest désormais assez inadaptée face à la recrudescencepotentielle des forages en métropole: on peut estimer à moins d’une dizaine les experts encoreprésents en services déconcentrés…».
Un savoir-faire à la française? Les 4 experts estiment nécessaire de former de nouveaux experts en Dreal et insistent sur le rôle que pourrait jouer le pôle de compétitivité Avénia «afin de permettre à la France d’être à la pointe du progrès des techniques utilisées et de favoriser la création d’entreprises françaises innovantes, notamment par des actions de formation en relation avec son puits-école».
Quant aux questions de consommation d’eau pour la fracturation hydraulique (très gourmande en eau), ils se réfèrent à l’Ifpen. «Selon l’Institut, la quantité d’eau nécessaire au forage et à la fracturation d’un puits de gaz de roche-mère serait comprise entre 10.000 et 20.000 m³ (soit à peu près la consommation mensuelle d'une ville de 2.000 habitants).» Ils évoquent d’éventuels conflits d’intérêts dans l’utilisation de la ressource mais ne se prononcent pas: «La mission estime utile de préciser dans les textes concernés que le pétitionnaire doit décrire les dispositions qu’il se propose de mettre en œuvre pour satisfaire ses besoins d’eau et exposer l’impact de ses projets sur les autres utilisateurs d’eau et sur l’environnement».
« Mon premier sentiment était le bon, ces autorisations n'auraient pas dû être données avant l'évaluation environnementale », a déclaré la ministre à l'AFP. Selon elle, le pré-rapport indique qu'il y a besoin de beaucoup de travaux complémentaires avant de conclure dans un sens ou dans l'autre.
La ministre de l'écologie a rappelé que parallèlement il était prévu de réfléchir à l'ouverture du Code minier pour aller vers plus de concertation. Il est notamment prévu que les populations soient consultées sur tout projet susceptible d'avoir des impacts sur l'environnement.
« Ce rapport est un florilège des écrans de fumée dressés pour rendre acceptable l’inacceptable » estime France nature environnement (FNE). « Cette mission est composée uniquement de hauts fonctionnaires. C'est le retour des grands corps d'Etat, de la technocratie, en particulier du corps des Mines, et sa tentation permanente de décider à la place des politiques pour ce qui tient à la stratégie énergétique du pays et à la gestion des ressources ». Le FNE qualifie le document de « fumeux », « caricatural » et « quasiment sans nuance ».
Le Premier ministre François Fillon avait annoncé le 13 avril qu'il allait annuler les permis d'exploration accordés en 2010, 2009 et 2008 avec les technologies actuelles, objets de vives critiques des écologistes. Il avait néanmoins gardé la porte ouverte à cette filière énergétique à condition de l'exploiter avec de nouvelles techniques.
Le gouvernement avait aussi annoncé son soutien aux projets de loi déposés, dont l'un de la majorité UMP, pour interdire les explorations. Un débat est prévu le 10 mai à l'Assemblée nationale.
Initialement le rapport final de la mission, chargée d'étudier les enjeux des hydrocarbures de roche mère était prévu pour le 31 mai, mais ses travaux pourront être prolongés.