18/04/2011: ZeGreenWeb.com - Gaz de schiste : les anti restent mobilisés, les pro affûtent leurs armes
Le revirement gouvernemental, définitivement acquis depuis mercredi et le mea culpa de François Fillon, doit encore être avalisé par le Parlement courant mai. En attendant les écologistes, bien qu’ayant salué le rétropédalage étatique, continuent l’action sur le terrain. Fort discrets jusqu’ici, les industriels commencent quant à eux à montrer les crocs.
On ne les a pas beaucoup voire pas du tout entendu ces dernières semaines. Par choix ou à leur insu, les pro-gaz de schiste ne sont pas parvenus à occuper le terrain médiatique, donnant parfois l’impression d’assister aux débats en simples spectateurs.
Une discrétion d’autant plus étonnante qu’une loi interdisant l’exploration et a fortiori l’exploitation des gaz de schiste serait synonyme d’important manque à gagner pour Total, GDF-Suez et consorts et que leurs responsables auraient tout intérêt à s’engouffrer dans la brèche créée par la volte-face des autorités. L’absence de riposte juridique apparaît cependant provisoire et on voit mal les industriels, ces beaux endormis qu’on attendait plus vindicatifs, ne pas finir par peser de tout leur poids pour obtenir a minima des indemnités conséquentes.
« Une campagne outrancière »
Vindicatif, le PDG de Total Christophe de Margerie l’a tout de même été dans une interview accordée au Parisien la semaine dernière, estimant notamment, moyennant un raccourci aussi convenu que commode, qu’« on ne peut pas d’un côté défendre l’approvisionnement en France et de l’autre interdire la prospection de ces fameux gaz de schiste dans la région de Montélimar (Drôme) ». Et d’accuser les défenseurs de l’environnement de crier avant d’avoir mal : « Avant même qu’on ait eu le temps simplement de pouvoir évaluer ce qui existait, on a dû faire face à une campagne outrancière — et je pèse mes mots — contre cette ressource potentielle. Comment peut-on prendre une décision définitive sans même savoir s’il y a du gaz de schiste dans le sous-sol français et s’il est exploitable ? » À croire que M. de Margerie, qui est certes dans son rôle et s’était déjà dit « agacé » par tout ce tintamarre lors de la publication des (très bons) résultats de son groupe début février, est de ceux qui n’ont pas vu Gasland, qui n’ont pas eu vent de la détection d’importants taux de radioactivité dans les eaux pennsylvaniennes et qui n’ont pas non plus entendu parler des doutes des experts au sujet de l’augmentation très anormale de l’activité sismique dans l’Arkansas…
Cette sortie a été précédée d’une autre du même acabit, celle du président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP) Jean-Louis Schilansky, qui lors de son audition devant la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale s’était insurgé contre le fait que « le risque environnemental qui a été agité (soit) excessif par rapport à la réalité ». « On se jette à la figure des anathèmes, alors même que nous ignorons si la géologie offre ou non un potentiel », avait-il ajouté, affichant par la même ses distances avec le principe de précaution.
« Ça n’est pas acceptable, quelle que soit la façon dont ça se fait »
Directeur de Total Gas Shale Europe, Benoît Courme ne s’avoue quant à lui pas vaincu : « la présidentielle étant dans un an, il y a énormément de pressions de part et d’autre. Il est donc difficile d’établir un pronostic sur ce qu’il adviendra [...] Il faut attendre que cela se calme. Je ne suis pas pressé », a-t-il confié à nos confrères de Bloomberg, donnant crédibilité à la thèse de certains selon lesquels le véto gouvernemental pourrait en réalité ne pas être définitif. De son côté, le président de l’Amicale des foreurs et métiers du pétrole Jacques Sallibartant s’est dit « ahuri par ce qui se dit et ce qu’on voit aujourd’hui » et a entrepris, via notamment l’organisation de voyages d’étude outre-Atlantique pour les députés, de lutter contre « la désinformation actuelle sur ces sources d’énergie et sur leur technique d’extraction, dite de « fracturation hydraulique », qui est visiblement totalement méconnue du grand public ».
Couché noir sur blanc dans une missive adressée à tous les élus avant le débat du 29 mars dernier à l’Assemblée, l’objectif serait partagé par le co-rapporteur UMP de la mission parlementaire François-Michel Gonnot. Ayant exprimé « une vive satisfaction mêlée d’amertume » dans une autre lettre ouverte aux députés à la suite de l’annonce de l’examen en urgence de la proposition de loi des cent vingt-quatre élus de la majorité, l’association n’a cependant pas dit son dernier mot et il faudra certainement compter sur elle pour mener un lobbying appuyé visant à renverser la vapeur d’ici au 10 mai prochain. Des députés encore indécis cèderont-ils aux arguments sonnants et trébuchants et aux allégations rassurantes quant au contrôle des risques émanant des sociétés foreuses ? L’hypothèse n’est pas exclure, c’est pourquoi dans le camp adverse la vigilance reste de mise.
Des manifestations ont du reste eu lieu vendredi et samedi dans le Sud et l’Est de la France ainsi qu’en région parisienne, dans des zones où des permis d’exploration ont déjà été octroyés ou pourraient l’être, histoire d’inciter le gouvernement à transformer l’essai. Interrogé par l’AFP, Anne Lacouture, assistante de l’eurodéputé d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) José Bové, s’est réjouie du fait que les environnementalistes soient à présent entendus mais a prévenu : « on demande l’abrogation et ce n’est qu’à ce moment-là que la mobilisation s’arrêtera ». « Pour nous, ça n’est pas acceptable, quelle que soit la façon dont ça se fait », a-t-elle précisé, faisant explicitement référence aux propos du Premier ministre au sujet d’une exploitation des gaz et autres huiles de schiste à partir de techniques à la propreté éprouvée.
Les choses sont claires du côté des défenseurs de l’environnement. Il faudra encore attendre quelques semaines pour qu’elles le soient davantage du côté des décideurs.