27/03/2011: le Texas en a marre des gaz de schiste


Le site canadien Cyberpresse.ca nous raconte la montée d'un front de refus aux alentours du gisement de Barnett aux Texas, là où tout à commencé pour cette industrie

 

 

 


Dans ce quartier de l'est de Fort Worth,... (Photo: Ralph Lauer, collaboration spéciale)


Dans ce quartier de l'est de Fort Worth, les maisons voisinent une plate-forme de forage gazier, où une batterie de condensateurs a été installée. La réglementation municipale exige 200 mètres de distance entre bâtiments et activités gazières, mais cette règle peut être écartée si les propriétaires y consentent.

Photo: Ralph Lauer, collaboration spéciale

 

Charles Côté

 

(Fort Worth, Texas)Aux quatre coins du gisement Barnett, dans le nord du Texas, là où est née l'industrie du gaz de schiste il y a 10 ans, la révolte gronde. Les citoyens, qui voient les gazières forer tout près de leurs maisons de banlieue ou des écoles de leurs enfants, en ont assez. Les poursuites se multiplient et plusieurs projets de loi sont proposés pour encadrer une industrie qui a créé 70 000 emplois dans la région.

Fort Worth, c'est la ville où les cow-boys menaient jadis leurs troupeaux à l'abattoir. C'est aujourd'hui la pionnière des forages gaziers en milieu urbain.

Ce concept controversé fait la fortune de plusieurs compagnies qui exploitent le gisement Barnett, à 3000 mètres sous les rues et les maisons de cette agglomération de 1,8 million d'habitants.

Dans tous les quartiers, chaque terrain vague ou recoin en friche a déjà ses puits. Si ce n'est pas le cas, cela ne saurait tarder. Et s'il n'y a pas de terrain vague, l'industrie en crée un. Dans un cas récent, une société gazière a acheté un édifice à logements délabré et l'a rasé pour y installer sa plate-forme de forage.

En théorie, tout le monde peut faire un peu d'argent, voire beaucoup d'argent avec le gaz du shale de Barnett.

En effet, selon la loi du Texas, et contrairement à la situation au Québec, les propriétaires de la surface sont aussi propriétaires du sous-sol ici. Les compagnies gazières doivent donc les payer avant de forer sous leur maison et leur verser une redevance s'ils exploitent le gaz.

C'est cet aspect qu'aime souligner Ed Ireland, président du lobby de l'industrie, alors qu'il guide La Presse dans la ville.

«Les gens qui peuvent retirer un revenu de leurs droits miniers sont très contents, dit-il. Un propriétaire typique peut recevoir 1000$ à la signature et retirer 100$ par mois par la suite.»

Il donne l'exemple d'un collège universitaire, qui finance un nouveau bâtiment et des bourses d'études avec ses revenus gaziers.

 

2000 puits urbains


C'est ainsi que 2000 puits de gaz de schiste ont été forés à Fort Worth. Non sans causer une controverse grandissante qui retentit maintenant jusqu'à Austin, la capitale du Texas.

Cependant, les bénéfices sont souvent minces, voire inexistants, surtout pour les locataires. Et il y a les cas de plus en plus répandus de propriétaires de maisons qui en fait n'ont pas les droits miniers sur leur terrain, parce que ces derniers ont été conservés par le promoteur immobilier qui a fait le lotissement.

Gary Hogan, résidant de Fort Worth, est vice-président de la North Central Texas Communities Alliance (NCTCA), qui tente de réunir les opposants à l'industrie.

Il était membre des comités créés par la Ville de Fort Worth pour rédiger la réglementation gazière municipale. Il ne croit pas que le propriétaire moyen comme lui fait fortune avec le gaz. «Je viens de recevoir un chèque de 148$ pour 10 mois», dit-il.

Ce n'est rien comparativement aux désagréments et dangers que cause l'industrie, dit-il. Des dangers qui commencent à retenir l'attention des autorités et des médias au Texas, 10 ans après le début de l'exploitation du gisement Barnett.

 

Pollution au benzène


La Texas Commission on Environmental Quality (TCEQ), l'agence gouvernementale de protection de l'environnement, a révélé l'an dernier qu'une importante proportion des installations gazières causaient de la pollution au benzène, un gaz qui peut causer l'anémie, le cancer et des troubles nerveux. Depuis, l'agence installe de nouvelles stations de surveillance de la qualité de l'air.

La crainte de la pollution au benzène a atteint son paroxysme à Flower Mound, en banlieue nord de Fort Worth. Les résidants y ont attribué ce qui leur semblait un nombre inhabituel de leucémies chez les enfants.

Les autorités de la santé publique ont ordonné une étude. Les résultats préliminaires ne permettent pas de conclure à un taux inhabituel de leucémie, mais ils n'incluent pas l'année où les forages ont commencé à Flower Mound. L'étude se poursuit.

L'impact de l'industrie sur l'eau suscite aussi l'inquiétude au Texas. L'agence fédérale de protection de l'environnement (EPA) s'est mise de la partie en décembre dernier, en déposant à grand fracas une poursuite contre une compagnie gazière pour avoir contaminé deux puits d'eau potable. Du même souffle, l'EPA affirmait que les autorités texanes n'avaient pas agi assez vite dans ce cas.

Cette même compagnie a été absoute par un tribunal texan, mais l'EPA maintient sa poursuite devant un tribunal fédéral.

 

Un moratoire et une poursuite


De leur côté, les villes texanes ont réagi en essayant d'éloigner l'industrie des lieux habités et de réduire les désagréments. Mais ce n'est pas toujours facile.

Tom Hayden est maire adjoint de Flower Mound, qui est poursuivi par une compagnie gazière pour avoir décrété un moratoire sur les nouveaux forages.

«Flower Mound est une communauté cossue qui est en train de se transformer en zone industrielle, dit M. Hayden. Dès notre élection l'an dernier, nous avons imposé un moratoire sur tout nouveau forage. Dans notre ville, 90% des gens n'ont pas de droit sur le sous-sol. Il a été conservé par les promoteurs immobiliers. C'est difficile d'équilibrer le droit des propriétaires du sous-sol d'exploiter ses ressources et celui des gens à rester en santé et profiter de leur maison.»

À Fort Worth, les forages ne sont pas permis à moins de 200 mètres des bâtiments, mais cette limite peut être contournée si tous les propriétaires concernés y consentent. Une règle qui se retourne contre les résidants des quartiers pauvres, dit M. Hogan.

 

Après les puits, les gazoducs


Il n'y a pas que les puits ou les compresseurs qui dérangent les gens ou les rendent malade. Il y a aussi les gazoducs qui étendent leur réseau tentaculaire, grâce au pouvoir d'expropriation des compagnies gazières.

Les gazoducs en milieu urbain inquiètent Esther McElfish, présidente de la NCTCA. «Le gaz qui circule dans les conduites de raccord des puits n'est pas odorisé, contrairement à celui des conduites de distribution, dit-elle. Il n'y a pas moyen de détecter une fuite.»

Steve Dueong réside dans un quartier pauvre de Fort Worth avec sa fille de 11 ans. Cambodgien d'origine, professeur au secondaire, il est en congé médical forcé depuis 10 ans, victime de la maladie de Lyme.

M. Dueong a tenu tête pendant 18 mois à une des plus importantes compagnies gazières qui voulait faire passer un gazoduc sur le terrain de sa modeste maison. «Le tuyau serait passé à 10 pas de ma chambre à coucher», dit-il.

Le gazoduc devait relier deux puits situés de part et d'autre de son quartier. La compagnie, coincée dans ses échéances, a trouvé un autre chemin, loin des maisons, mais a maintenu sa cause contre M. Dueong, qui a finalement été exproprié. Un autre gazoduc pourrait être installé. C'est une réelle possibilité, car d'autres puits seront forés dans le quartier.

«Ma maison de 60 000$ a perdu peut-être 30% de sa valeur, dit-il. Mais je n'ai pas fait ce combat pour l'argent. J'ai le sentiment que ma ville est devenue un endroit étrange et hostile où l'argent et les entreprises font la loi. C'est contraire à tout ce que j'ai appris sur les valeurs de ce pays.»

 

Un voisinage ruineux


Même des gens très à l'aise peuvent voir leur santé financière détruite par le voisinage de l'industrie. Garrick Palmer a une maison à Flower Mound qui valait 600 000$, mais il se demande qui l'achèterait aujourd'hui. «Il y a une plate-forme de forage en avant et ils construisent une batterie de compresseurs en arrière», dit-il. Des gros défauts pour une maison, qui s'ajoutent au marasme généralisé du marché immobilier.

Au chômage depuis deux mois, M. Palmer, 55 ans et spécialiste informatique, père de trois ados, craint de devoir repartir à zéro. Et ce n'est pas sa redevance gazière de 5000$ qui le sauvera.

Pour Ed Ireland, la cohabitation harmonieuse entre l'industrie et les résidants dépend de l'adoption de certaines mesures.

Par exemple, les plates-formes de forage sont maintenant entourées d'écrans sonores pouvant atteindre 15 mètres de haut. Les projecteurs du chantier pointent désormais vers le bas pour ne pas éblouir le quartier. Et les camions circulent seulement la nuit.

Il nie toute pollution au benzène. «Le benzène vient des autos et des camions, pas des installations gazières», dit-il.

Il nie aussi que l'industrie puisse causer quelque trouble de santé. Même si les témoignages se ressemblent étrangement chez toutes les personnes rencontrées par La Presse qui ont subi le voisinage de l'industrie: saignements de nez, éruptions cutanées, étourdissements, nausées, etc. «La cause de ces problèmes est ailleurs, dit M. Ireland. Les gens mécontents, qui ne touchent pas de redevances, cherchent des problèmes et tentent de les mettre sur le dos de l'industrie.»

Et la valeur des maisons? «Je dirais que s'il y a perte de valeur, elle est attribuable aux fortes plaintes que les gens font au sujet de l'industrie, mais pas à l'industrie elle-même.»



La source ici 

 

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Dans cette banlieue au nord de Fort Worth,... (Photo: Ralph Lauer, collaboration spéciale)


Dans cette banlieue au nord de Fort Worth, une foreuse a été installée à proximité d'immeubles à appartement tous neufs.

Photo: Ralph Lauer, collaboration spéciale

 

Charles Côté

 

 

(Austin, Texas) Dans une salle de réunion au sous-sol du Capitole texan, Lewis McBee, résidant de Denton, au nord Fort Worth, prépare des dossiers à remettre aux représentants et sénateurs de l'État.

Il veut les convaincre de resserrer l'encadrement de l'industrie gazière. Il est vice-président de la North Central Texas Communities Alliance, qui tente de réunir les opposants à l'industrie. «Je m'attends au mieux à ce qu'ils soient courtois avec nous», dit-il, résigné.

Tous les écologistes du Texas se sont donné rendez-vous aujourd'hui à Austin pour un blitz de lobbying.

Ed et Claudia Meyer sont venus de Dallas, où l'industrie gazière veut faire une percée. Membres du groupe Citizens for Responsible Drilling, ils ont fait pression sur la Ville de Dallas pour qu'elle remette à plus tard la délivrance de permis de forage à la société XTO, filiale d'Exxon.

Il y a deux ans, XTO a remporté par enchères le droit de forer sur certains terrains municipaux de la ville, au prix de 33 millions.

«Nous voulons qu'on installe des stations de surveillance de la qualité de l'air et améliorer le règlement de zonage, dit-il. Je ne crois pas que les forages gaziers soient appropriés en ville, même avec des distances séparatrices de 1000 pieds,»

Au Texas, les représentants et sénateurs ne siègent qu'une fois aux deux ans, pendant 140 jours. La session de 2011 est sous le signe de l'austérité: il y a un trou de 27 milliards à combler et le Texas a une loi qui lui interdit de faire des déficits. Des licenciements massifs s'annoncent dans les écoles publiques.

On pourrait croire que c'est encore plus difficile dans ce contexte de faire entendre le message écologiste, mais la mobilisation des citoyens contre l'industrie gazière est devenue trop stridente.

Un projet de loi déposé la semaine dernière propose de forcer l'industrie à révéler les substances qu'elle injecte dans le sol pour stimuler la production de gaz. Un autre veut mettre un terme aux avantages fiscaux de l'industrie. Un troisième veut éloigner d'au moins 400 mètres les forages gaziers des écoles.

D'autres projets de loi sont favorables à l'industrie, comme celui qui interdirait toute poursuite en dommages contre une installation polluante détentrice d'un permis valide de l'État.

Cette année, la question des forages gaziers s'est pour la première fois taillé une place parmi les priorités de l'Alliance for a Clean Texas, qui coordonne la journée de lobbying. Mais cela ne se fait pas sans contradictions.

 

Gaz ou charbon?


Allison Sliva est membre de No Coal Coalition, à Bay City, sur le golfe du Mexique. Elle lutte pour la fermeture de centrales au charbon. «J'aimerais bien mieux avoir une centrale au gaz qu'au charbon près de chez moi, dit-elle. Le gaz est plus propre, même s'il pourrait être extrait de façon plus responsable.»

Le débat entre gaz et charbon trouve écho à la chaîne d'information CNN, sous forme d'un matraquage publicitaire incessant. Le gaz se vante d'être propre. Le charbon se vante de n'être pas cher.

Il n'y a pas de meilleur endroit que le Texas pour voir comment ce débat se déroule sur le terrain. Et le sale charbon l'emporte haut la main.

Aucune centrale thermique au charbon n'a fermé depuis le début de l'exploitation du gaz de schiste au Texas. Au contraire, deux nouvelles centrales ont été autorisées.

Pour Ed Ireland, porte-parole de l'industrie du gaz de schiste au Texas, c'est désolant, car le prix du gaz demeure très bas, faute de demande. «Vous devriez voir les trains de charbon arriver au Texas, c'est l'un après l'autre et ils font tous un mille de long», dit-il.

La Presse lui a demandé pourquoi l'industrie gazière ne faisait pas de pression pour limiter les émissions polluantes des centrales au charbon, en particulier pour les gaz à effet de serre. «Je ne crois pas que l'homme ait une influence sur le climat», a-t-il répondu.

1770 milliards de pieds cubes (presque 10 fois la consommation annuelle du Québec)

Coût moyen par puits : 3,5 millions

Profondeur moyenne : 2300 mètres

Droits de forage : de 14 000$ à 70 000$ l'acre

Seuil de rentabilité : 5$ par million de Btu

Coût actuel du gaz : 3,85$ par million de Btu

 


La source ici 

 

 



27/03/2011

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